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Thomas Alexandre Dumas, héros oublié de la Révolution française

Article publié dans Axone n°9 – septembre 2021
Avant Alexandre Dumas fils, l’auteur de La Dame aux Camélias, et Alexandre Dumas père, celui du Comte de Monte-Cristo, il y avait le général Thomas Alexandre Dumas. Fils d’une esclave africaine et d’un noble normand, il devint un héros de guerre durant la Révolution française et une source d’inspiration majeure pour son fils. Suivez le chemin du Diable noir jusqu’à Villers-Cotterêts…

L’histoire de Thomas Alexandre Dumas commence à Saint-Domingue…

C’est loin de l’Aisne qu’est né Thomas Alexandre Dumas. Au XVIIIe siècle, l’île d’Haïti s’appelle encore Saint-Domingue ; possession de la France depuis 1697, elle est la plus prospère de ses colonies. Les plantations d’indigo et de café côtoient celles de cacao et de sucre de canne. Un demi-million d’esclaves y vivent, bien plus qu’en Guadeloupe ou à la Martinique.

Alexandre Antoine Davy de la Pailleterie s’est établi ici en 1738. Ruiné, ce marquis normand à la vie débauchée a acheté une plantation modeste sous un faux nom. Il y vit avec une esclave africaine qu’il a affranchie, Marie-Cessette Dumas. Ils ont cinq enfants, dont un fils, Thomas Alexandre, né en 1762.

En 1775, après la mort de ses frères, il décide de retourner en France pour récupérer son titre et son héritage. Il vend alors sa femme et ses enfants pour payer sa traversée. Acheté 800 livres par un capitaine, le jeune Thomas Alexandre Dumas est réduit en servitude.

D’esclave à gentilhomme

Le capitaine ne s’embarrasse pas du jeune garçon et le poste sur un navire en partance pour la France. Celui-ci ne reverra plus jamais sa mère. Il débarque au Havre, où il a la surprise de retrouver son père. Devenu riche, ce dernier le reprend sous sa protection et lui donne son nom. Thomas Alexandre n’est plus esclave : il est fils de marquis ! Installé à Paris, il va recevoir l’éducation qui correspond à son rang : latin, mathématiques, danse, équitation et escrime.

Avec son mètre quatre-vingt-cinq et ses cheveux crépus, Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie ne passe pas inaperçu. Sa beauté, « exotique » pour l’époque, lui ouvre les portes des salons mondains. Cependant, sa peau métissée lui vaut aussi des insultes… Pourtant, les fils d’esclave fortunés comme lui sont nombreux dans la capitale. En pension chez Nicolas Texier de la Boëssière, un maître d’armes, il y fait ainsi la connaissance du Chevalier de Saint-Georges, militaire et compositeur, lui aussi ancien esclave.

En 1786, le jeune homme se dispute avec son père, qui lui coupe les vivres. Thomas Alexandre décide donc de s’engager dans l’armée et rejoint le régiment des dragons de la Reine en tant que cavalier. Il choisit aussi de rejeter le nom paternel et prend désormais celui de sa mère, Dumas. Un nom neuf, mais déjà rempli d’histoires !

« Le Diable noir »

La Révolution est en marche et, à l’été 1789, le soldat Dumas est en garnison à Laon. Son régiment reçoit l’ordre de se rendre à Villers-Cotterêts. En l’absence de caserne, les militaires sont logés dans des auberges. Le jeune homme se retrouve à L’Écu de France, établissement tenu par Claude Labouret, hôtelier et commandant de la Garde nationale. Il y rencontre la fille de l’aubergiste, et sa future épouse : Marie-Louise. Ils se marient en 1792, après qu’il ait obtenu le grade de brigadier, et s’installent à Villers-Cotterêts.

Son ascension militaire ne s’arrête pas là. En août 1792, sa patrouille tombe sur des ennemis durant une mission de reconnaissance, près de la frontière nord. À lui seul, il fait douze prisonniers, ce qui lui vaudra d’être nommé maréchal-des-logis. Plus tard, la même année, le Chevalier de Saint-Georges lui propose le grade de lieutenant-colonel et commandant en second de la Légion franche des Américains. 

Thomas Alexandre Dumas, un héros pour son pays

Général de brigade, il devient général de division en septembre 1793, puis, en décembre, commandant en chef de l’armée des Alpes. À la tête de 53 000 hommes, il ouvre la voie vers l’Italie. Ses faits d’armes, son courage et sa détermination en font un héros célébré par tout le pays ! En 1795, il est transféré à l’armée d’Italie, sous les ordres d’un commandant de vingt-six ans : Napoléon Bonaparte. Entre temps, le 4 février 1794, l’esclavage a été aboli par décret dans l’ensemble des colonies françaises.

Le 19 janvier 1797, le général Dumas dirige la capture du pont de Klausen, dans le Tyrol italien. Son unité remporte la bataille, malgré la supériorité numérique de leurs ennemis. S’apercevant d’une contre-attaque, Dumas charge, seul, et contient la cavalerie autrichienne, le temps que des renforts le rejoignent. Il tue plusieurs hommes et reçoit lui-même plusieurs blessures. Épouvantés, les Autrichiens le surnommeront « Le Diable noir ». Bonaparte, lui, le désignera comme « l’Horatius Coclès du Tyrol », du nom d’un héros mythique romain.

Grandeur… et décadence

En 1798, Bonaparte le nomme à la tête de la cavalerie d’Orient, en prévision de l’expédition d’Égypte. Ensemble, ils prennent part à la bataille de Chebreiss et celle des Pyramides. Cependant, les relations entre les deux hommes se détériorent rapidement. Dumas ne partage pas la vision et les méthodes de Bonaparte, qui, lui, supporte mal le prestige du Diable noir. Finalement, le général invoque un problème de santé et quitte l’expédition en mars 1799.

Son navire accoste à Tarente, en Italie, pour éviter un naufrage. Là, il est fait prisonnier par le gouvernement de Naples, qui le gardera jusqu’à la victoire de Marengo, le 14 juin 1800. Maltraité, il finit estropié de la jambe droite, la partie gauche du visage paralysée. Il est également devenu sourd de l’oreille droite et a pratiquement perdu un œil. Il est aussi atteint d’un ulcère à l’estomac, qui finira par l’emporter.

L’ancien héros de guerre est de retour à Villers-Cotterêts, auprès de sa femme et de sa fille, Aimée-Alexandrine. Le 24 juillet 1802, il accueille la naissance de son fils, Alexandre Dumas, deuxième du nom. La même année, il est mis d’office à la retraite. L’arriéré de sa solde et les indemnités promises après sa captivité ne lui seront jamais versés. Il écrira plusieurs fois à Bonaparte pour demander son appui, mais n’obtiendra aucune réponse de celui qui vient de rétablir l’esclavage. Épuisé et malade, il meurt le 26 février 1806, à Villers-Cotterêts.

Thomas Alexandre Dumas, une mémoire à réhabiliter

Alexandre Dumas n’a pas tout à fait quatre ans lorsque meurt son père. Le futur écrivain lui vouera une admiration sans borne toute sa vie. Plus tard, il s’inspirera de son courage, de sa stature et de sa force pour créer certains de ses personnages, comme le Comte de Monte-Cristo, ou Porthos, l’un des Trois Mousquetaires.

Cependant, en dehors de son fils, plus personne ne célèbre la mémoire de l’ancien héros de la Révolution. Il faudra attendre 1913 pour qu’une statue soit érigée en son honneur, à Paris. Réalisée par Alphonse de Perrin de Moncel, elle est abattue et fondue par les troupes allemandes durant l’Occupation. En février 2021, la Ville de Paris a décidé de faire faire une réplique de cette statue pour la réinstaller à sa place, dans le 17e arrondissement. Les curieux pourront aussi retrouver son nom sous l’Arc de Triomphe, aux côtés de ses frères d’armes.

Deux plaques commémoratives ont été installées à l’initiative de l’écrivain Claude Ribbe, son biographe. L’une d’elles se trouve sur la maison où il est mort, à Villers-Cotterêts. Le musée Alexandre Dumas, également dans la ville, consacre une partie de ses collections à cette figure injustement méconnue de l’Histoire de France.

Magazine Axone numéro 9
Retrouvez cet article dans Axone n°9 – septembre 2021
Photo de l’article : ©Le Général Dumas par Guillon Lethière

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